Lors de notre grande enquête “L’expert-comptable digital en 2024” nous avons interrogé divers profils de l’univers expert-comptable. Rudy Brovelli, fondateur et dirigeant de l'Agence des Experts-Comptables, a accepté de se prêter au jeu et de nous partager son parcours et ses observations sur l'évolution de la profession ainsi que les défis liés à la digitalisation et à la communication.
Bonjour Rudy, merci d’avoir accepté de répondre à nos questions, tes réponses seront précieuses pour notre enquête ! Dans un premier temps, je te propose de te présenter ainsi que l’agence d’experts-comptables.
Je suis Rudy Brovelli, fondateur et dirigeant de l’agence des experts-comptables. C’est une agence de communication à 360 degrés dédiée aux experts-comptables, intervenant sur le print et le web pour améliorer leur image et leur quotidien. L’agence est née en 2008 quand les experts-comptables ont eu droit de communiquer.
Les experts-comptables ont-ils directement eu ce besoin de communiquer quand cela leur a été autorisé ?
Alors non, pour être très franc, de 2008 à 2015, la mentalité était encore très traditionnelle. À cette époque, on commençait à parler de digitalisation, mais ce n’était pas encore ça.
Entre 2015 et 2018, nous avons observé une transformation significative dans le secteur des experts-comptables. L'ouverture à la communication a été un véritable catalyseur, suscitant un engouement marqué pour la création de nouveaux cabinets.
Par contre, pour les cabinets qui étaient déjà en place, c'était plus complexe, pour eux le logo de l’ordre suffisait amplement pour marquer leur identité. Ils étaient formatés, ils ont été longtemps habitués à ça.
La digitalisation de la profession a-t-elle aidé à changer les mentalités ?
La digitalisation croissante a joué un rôle clé dans le processus de création d'entreprise. Avec l'émergence d'outils en mode SAAS et la simplification des procédures administratives, de plus en plus d'entrepreneurs ont été encouragés à se lancer dans l'aventure de l'expertise comptable.
Cette période a également été marquée par un rajeunissement significatif de notre clientèle. Nous avons constaté une prédominance notable de femmes entrepreneures, ce qui témoigne d'un changement démographique et d'une ouverture accrue de la profession à la diversité.
La possibilité de communiquer a donc non seulement dynamisé le secteur, mais a aussi permis une plus grande représentativité et inclusion au sein de la communauté des experts-comptables.
Comment vois-tu la profession évoluer sur les années à venir en termes de digitalisation ou même de profession à tout niveau ?
Avant la COVID-19, nous organisions régulièrement des séminaires à l’étranger pour rencontrer des experts-comptables et comprendre comment ils fonctionnent, notamment à San Francisco, où j’ai fait mon dernier séminaire en 2019.
J'ai été frappé par l'importance du rôle de "business partner" ou "business coach" dans leur approche. Le tarif de la comptabilité là-bas n’est que de 14,99$ et pourtant leur cabinet fonctionne très bien. Pourquoi ? Parce qu’elle est entièrement digitalisée et que ces experts-comptables proposent un service complet à leurs clients, allant au-delà de la simple tenue de livres.
Le business partner, ou business coach, propose un service en fonction de ce que son client a besoin, soit du coaching, soit un vrai accompagnement à la finance. À San Francisco, les experts-comptables vont en rendez-vous client avec un dashboard avec toutes les données digitalisées et ils échangent dessus. Leur quotidien, c’est quasiment que de ça : beaucoup de contact client. Tous les mois, ils font le point sur les métriques chiffrées et comment orienter les prochains mois.
On va finir par arriver à ça, mais ce qui est dommage, c'est qu’aujourd'hui, beaucoup d’experts-comptables en France s’arrêtent au niveau 1 : ils ne rendent que les chiffres. Je suis convaincu qu’on va finir par passer au niveau 2 : le conseil pour aider ses clients dans l’amélioration des résultats de leur entreprise.
Après, pour que ça fonctionne, il faut également éduquer le client, la TPE / PME, et ça, c'est dès le départ : à avoir les bons codes, à donner les bons documents… La facture électronique va contribuer à tout ça. On parle beaucoup de digitalisation, mais tant que l’expert-comptable ne reçoit pas les documents, il ne peut rien faire.
Dans ton quotidien et les échanges que tu peux avoir avec les experts-comptables, parmi les enjeux actuels de la profession, quelles sont les problématiques les plus souvent remontées ?
Les enjeux varient selon le stade d'évolution de l'expert-comptable. Pour les nouveaux créateurs, la principale préoccupation est de trouver les bons clients qui correspondent à leur vision et de savoir dire non lorsque nécessaire pour mieux se concentrer.
Pour les cabinets établis, la gestion des collaborateurs est une problématique majeure, notamment pour éviter le burn-out en raison d'une charge de travail trop importante.
Les cabinets plus anciens, quant à eux, doivent se concentrer sur le renouvellement de leur portefeuille client en adoptant une approche plus moderne, particulièrement en matière de communication et d'utilisation des outils digitaux. Choisir le bon outil est crucial, non seulement en termes de fonctionnalités, mais aussi en ce qui concerne le service client et l'expérience utilisateur.
Par rapport à d’autres pays, que penses-tu de la digitalisation de la profession en France ?
On peut dire qu'on est en retard, mais on essaie de rattraper notre retard. Par exemple, en Italie et dans d'autres pays, ils sont déjà passés à la facture électronique depuis 2019, ce qui montre un certain retard de la part de la France, malgré son statut de puissance mondiale.
Cependant, avec l'arrivée de jeunes dynamiques qui souhaitent changer les codes, nous sommes dans une dynamique de rattrapage.
Pour toi, quelles sont les raisons pour lesquelles un cabinet aurait du mal à se digitaliser ?
Il n'y a en fait aucune raison pour qu'un cabinet ne se digitalise pas, car cela fait partie de son ADN. Cependant, il peut y avoir des blocages, notamment liés à la peur du changement et à la remise en question de l'existence de certaines pratiques. Il est crucial de travailler sur la psychologie humaine pour surmonter ces obstacles et faciliter la transition vers la digitalisation.
Il y a une citation qui dit “ La transformation digitale n’est pas technologique, mais culturelle “. Les gens ont peur du changement, ils ont peur d’être inutiles et se disent que le changement va tout chambouler, que ce soit pour l’équipe comme pour les clients.
Sensibiliser les clients aux avantages de la digitalisation est également important, même s'ils peuvent avoir des réticences liées à leurs habitudes de communication traditionnelles.
Je dis souvent aux experts-comptables “quand vous avez de nouveaux clients, il faut tout de suite les formater à votre façon de faire, c’est comme ça et pas autrement.” Cela va leur permettre d’offrir une expérience utilisateur qui ne sera pas la même que celle qu’ils ont eue avant, ils vont passer à un niveau supérieur dans la relation client.
Quelles sont les priorités que tu vois pour les cabinets en termes de digitalisation aujourd'hui ? Quels sont les outils indispensables pour le cabinet ?
Pour moi, les priorités de la digitalisation pour les cabinets sont de simplifier la production avec des outils en mode SaaS, permettant aux clients un accès à distance facile. Il est crucial d'assurer la stabilité des outils pour éviter les pertes de temps liées aux dysfonctionnements.
Ensuite, il est essentiel d'améliorer la communication avec les clients en facilitant les échanges, comme l'envoi de documents via une application mobile, ce qui permet de gagner du temps et d'aller rapidement à l'essentiel lors des rendez-vous.
Quelles sont les conséquences de la digitalisation pour toi ?
Tout d'abord, en termes de bénéfices, la digitalisation offre un gain de temps significatif à moyen terme. Cela permet également de répondre aux besoins émergents d'une clientèle plus jeune qui recherche des outils facilitant les échanges et permettant de gagner du temps. Cependant, cela soulève aussi des problématiques, notamment chez les cabinets déjà établis.
Le principal défi réside dans le changement des habitudes et la résistance au changement. Les professionnels ont souvent du mal à sortir de leur zone de confort, mais il est essentiel de comprendre que cette résistance est naturelle. Il existe un processus en plusieurs étapes pour sortir de cette zone de confort, passant de la peur à l'apprentissage, puis à la grandeur.
L'enjeu est de ne pas rester trop longtemps dans la phase d'apprentissage afin de ne pas se démotiver, mais plutôt d'avancer vers une zone de grandeur où la zone de confort s'agrandit et devient plus épanouissante.
Est-ce que tu penses que les cabinets sont prêts à l’arrivée de la facture électronique ?
Je pense qu'ils l’étaient avant que l'État décide de reporter la facture électronique, d'ailleurs ce report m’a étonné et déçu. Je ne pense pas que ce soit la faute des TPE.
Je pense que les experts-comptables se rendent compte de l’opportunité qui s’offre à eux, ce sont les factures de demain. Cela ne va se faire du jour au lendemain, mais ça va être la continuité du nouveau métier.
Quand tu échanges avec tes clients vis-à-vis de la facture électronique, est-ce qu’ils ont des inquiétudes ?
Ils sont plutôt confiants et optimistes à ce sujet. Ils ont vraiment une volonté d'y aller, très déçus que cela ait été reporté, mais la motivation est toujours présente.
Le contexte actuel a poussé beaucoup de cabinets à se digitaliser, même ceux qui n'avaient pas initialement d'appétence pour ça. En l'espace de quelques semaines, tous ont adopté cette transformation. Cela démontre que lorsque l'être humain se retrouve dos au mur, il est prêt à s'adapter et à agir.
Et toi, en tant qu’entrepreneur, est-ce que ton entreprise a dû se préparer aussi à la facture électronique ? Comment vous avez réagi ?
On a un CRM qui nous permet de générer tout ce qui est devis, facturation, abonnement. Donc, nous avons tout simplement contacté notre CRM en disant qu'aujourd'hui, on voudrait avoir des renseignements sur la manière de préparer nos factures pour qu'elles soient homologuées électroniquement. Avoir un CRM en interne nous permet d'être plus tranquilles, alors que, si demain, je faisais mes factures sur une plateforme maison, je devrais réfléchir deux fois.
Ce virage vers la facture électronique pour ton entreprise, tu le vois comment ?
Je le vois positivement dans le sens où je pense que cela va me permettre de gagner encore un peu plus de temps. Bien qu’aujourd'hui, notre agence a déjà beaucoup automatisé et standardisé ses processus administratifs au fil des années, il reste encore un certain traitement à effectuer chaque mois.
On a réussi à réduire au minimum ce traitement, mais grâce à cette transition vers la facture électronique, on va franchir une étape supplémentaire. Je pourrai consacrer ce temps gagné à différentes choses plus importantes dans ma vie professionnelle ou même personnelle. C'est cela la particularité : c'est de réfléchir à comment utiliser ce temps supplémentaire de manière judicieuse.
Un dernier mot pour la fin ?
Je vais citer cette citation que j’aime bien : “Ensemble, on va plus loin !”
Merci une nouvelle fois à Rudy Brovelli pour cette interview. Pour en savoir plus sur l'agence des experts-comptables : https://www.lagence.expert/